Bon allez, on se bouge un peu, les études c'est bien gentil mais faut que ça en chie un peu ! Pis j'ai envie de montrer Sinead bientôt alors...
Naturels et Coordinateurs
J'avais découverts, au court des derniers mois, que Patrick était quelqu'un de particulièrement secret. Il pouvait vous raconter sa vie sentimentale pendant des heures, ou sa dernière tournée des bars, mais si cela n'avait tenu qu'à lui, je n'aurai jamais sut que son vrai nom n'était pas "Patrick Zala".
J'avais dû le coincer à propos de son père, comme quoi il n'y avait pas d'avocat du nom de Zala, où que ce soit en Fédération Atlantique. Il m'en avait beaucoup voulut pour avoir fait des recherches, et s'il ne m'avait pas boudé, c'était uniquement parce qu'il m'avait mentit d'abord.
C'est aussi à cette époque que les choses commencèrent à dégénérer et que j'en appris plus sur Patrick, mais l'histoire de son nom, tout d'abord.
Le père de Patrick était un irlandais de pure souche (d'où le nom de son fils, d'ailleurs), mais officiait bel et bien aux USA, et ce depuis de nombreuses années, sous le nom de George (inflexion très péjorative de Patrick sur le prénom) O'Conel (avec UN SEUL "n"). Mais Patrick avait tendance à trouver l'irlanderie de son père plus que fatigante, voir même ridicule, et c'était fait une joie de se dégoter un autre nom d'usage, moins "lutin et bière", comme il le disait lui même.
Bref, Patrick "O'Conel" Zala le criait bien fort, il n'était pas un fils un papa. Et même qu'il irait vivre dans l'espace quand il aurait son diplôme, là où même avec le téléphone, son paternel ne pourrait plus le joindre pour qu'il arrête de se bourrer la gueule le samedi soir.
Mais je parlais de l'atmosphère générale de la Fédération à cette époque, et de Harvard en particulier. Pendant des mois, j'avais cru que Patrick était un espèce de baba cool qui gardait des secrets juste pour le fun, était rebelle pour l'image, et flemmardait juste pour avoir l'air désintéressé. Grave erreur.
Le clash arriva lors des seconds partiels. Nous étions dans les trois cent dans un amphi, et je sortais mes affaires, calme et discret (mais quand ne l'étais-je pas ? C'était Patrick le bruyant des deux). Rien de bien exceptionnel, quand j'entendis mon cher et tendre camarade aux cheveux bleus (ah, oui, autre surprise : Patrick avait les cheveux bleus sombres et les teignait en noir), apparemment très en colère, comme quoi c'était une honte et qu'il refusait de remplir à torchon pareil.
Le professeur rétorqua que s'il n'était pas content, il pouvait toujours partir et avoir un zéro.
J'ouvrais ma copie et, juste sous le nom, trouvais la question suivante : "Êtes-vous un coordinateur ?"
"Et si on dit oui, qu'est-ce que ça fait ?" demandait un Patrick furieux.
"Vous serez notés en conséquence," répondit le professeur. "Le ministère a jugé qu'il était injuste que les naturels soient évalués sur les même critères. Après tout, les gènes modifiés, c'est de la triche."
On s'étouffait d'indignation. Zala aurait sans doute répliqué, mais quelqu'un d'autre -une fille, à l'autre bout de l'amphi, et assez petite pour ne même pas dépasser son épaule- s'était levée elle aussi et agitait son propre paquet de copies. "Ah oui ? Et pourquoi ça ! Bande de nazis ! Mettez tous oui !"
"Vous n'avez pas le droit ! L'université fera des vérifications, vous entendez ? Nous savons qui est dans la catégorie des coordinateurs ! Vous..."
Mais plus personne ne l'écoutait. Je voyais, autours de moi, des "oui" qui fleurissait sur les copies d'étudiants qui n'avaient pas un gène de modifié. Quant à moi, je crois que je paniquais : j'avais été inscrit comme naturel et mes notes des premières partielles ne me dénonçaient pas.
J'ai honte de le dire, mais je cochais "non".
Nous eûmes les résultats quelques semaines plus tard. Avec 52% de réussite, Patrick était le seul, parmi les "oui", à avoir eu la moyenne.
Mais le ministère ne s'arrêta pas là. Peu après les résultats, on exigea que ceux qui étaient officiellement des HGM (Humains Génétiquement Modifiés, puisqu'on nous considérait encore comme humains) aillent s'installer en haut de l'amphi. Patrick était furieux mais Aubry (la fille qui avait encouragé tout le monde à falsifier la question) lui fit signe de se taire et migra avec lui jusqu'aux derniers rangs. Je savais que c'était une naturelle, mais son nom fut appelé, avec tous ceux qui avaient eu le cran de cocher "oui". Le mien n'y était pas mais, quand je me levais pour les rejoindre, Patrick me fit signe de rester où j'étais, et qu'il m'expliquerait plus tard.
La moitié de l'hémicycle s'installa en haut, et on laissa deux rangs de vides pour bien séparer les deux groupes. Il y avait, en haut, autant de naturels que de coordinateurs : ceux qui avaient eu dans les 10% aux partiels (jusqu'à 31% dans le cas de Reinhard Kazian qui, avec Patrick, semblait s'être fait le porte parole des étudiants indignés) n'étaient certainement pas génétiquement modifiés. Le cours commença dans un silence pesant.
Les choses dégénérèrent encore : le professeur refusait désormais de répondre aux questions de "ceux d'en haut", ne prenait les devoirs que de "ceux d'en bas", et ne parlait pas assez fort pour que tout le monde entende. Je compris vite pourquoi Patrick n'avait pas voulu que je le rejoigne : il en fallait bien un pour prendre les notes pour ceux qui, contrairement à lui, n'avaient pas les moyens de réussir leur année dans ces conditions.
Il y eu ensuite du grabuge dans une autre université, de journalisme, cette fois et, deux jours plus tard, Patrick disparut purement et simplement d'Harvard. Je lui laissais une bonne dizaine de messages en deux jours, avec l'impression d'être une de ces pimbêches qui sortaient avec lui (à ceci près que j'avais une raison très pragmatique d'être inquiet). Au bout de quatre jours, j'allais voir Aubry (Reinhard était lui aussi absent), et celle-ci m'expliqua que Patrick avait été ajouté aux "Indésirables", donc qu'il faisait profil bas pendant quelque temps, parce qu'il avait des magouilles à faire et ne pouvait pas tout cumuler. Et je devais passer mes notes à Aubry quand on ne regardait pas, parce que le groupe des Oui était fliqué en permanence par les Non.
J'étais inquiet à propos de cette histoire de liste, mais Aubry refusait de m'expliquer un milieu d'un couloir. Il fallut, deux heures plus tard, aller se planquer dans les toilettes des filles du quatrième étage, où personne n'allait jamais parce qu'il n'y avait que des cours masculins ou presque. Encore une fois, je me sentais tout à fait idiot : après avoir inondé le portable de mon meilleur ami comme une groupie attardé, j'allais chipoter dans les chiottes avec une fille que je ne connaissais même pas. Brillant.
Mais les nouvelles qu'elle avait étaient encore plus étranges, et je commençais à me dire que Patrick était soit encore plus débile que je ne le pensais, soit qu'il avait juste envie de se faire casser la figure.
Dans plusieurs autres universités (et même lycées !) de la région, les coordinateurs étaient progressivement mis au ban des cours. Une loi était passé (fort discrètement) en Fédération Atlantique, comme quoi les responsables de l'éducation étaient en droit de "sauvegarder les chances des naturels". Pas d'autre formule. Autrement dit, une loi fantoche dont on faisait ce qu'on voulait.
Et le Congrès discutait en ce moment pour savoir si on pouvait donner aux coordinateurs le statut "d'Humains Génétiquement Modifiés", de façon officielle, et de leur attribuer un statut légal, du genre "quota par profession". Je doutais que ce soit constitutionnel, et Patrick, lui, semblait trouver ça plus qu'aberrant. Comment était-il au courant alors que personne dans la presse n'en parlait ? Bonne question, mais Aubry continua : suite à ces changements de statuts, plusieurs groupes étudiants s'étaient rencontrés pour débattre de tout cela, et s'étaient constitués en Ligue des Droits Universels. Je trouvais le nom laid, Aubry ajouta que Patrick pensait la même chose, mais "zut, on fera avec". Ils prévoyaient une petite opération razzia à quelques kilomètres d'ici, dans l'établissement le plus touché par ces problèmes.
Sauf qu'apparemment, toujours d'après Aubry, un indic devait s'être trouvé là parce que, le lendemain, Patrick l'avait contacté pour lui dire que la police locale avait désormais une "liste des possibles fauteurs de troubles", et que tous ceux qui avaient parlés ou été nommés au cours de la réunion était virtuellement sous surveillance. Et forcément, vu la grande gueule de Zala, il devait être dans les premiers noms.
Aubry, elle, gardait ses deux soeurs ce soir là, et c'est pour ça qu'elle pouvait encore venir, et jeter des boulettes en papier avec son lance pierre sur les profs en faveurs du nouveau statut.
Je me décidais à rendre visite à Patrick, histoire de lui remettre les idées en place : c'était pas un idiot idéaliste avec des cheveux bleus qui allait changer les choses et, vu comme elles se présentaient, je pensais sérieusement à regagner la Scandinavie... tant que nous le pouvions encore.