Le Saint Ordre de l'AEUG ne se repose jamais, car en quelque endroit de part le monde, ses Chevaliers sauvent les veuves et les orphelins de l'inculture et de l'ennui.
En l'apocalyptique année 2012, le 25 du mois de février, leur ordre de mission était simple : investir, en formation serrée, un haut lieu bitterois peuplé de moultes scribes et écoliers, y divertir le peuple et, insidieusement, planter en lui la graine de la Connaissance. Tout cela avant que le soleil n'atteigne l'horizon chargé de collines aux verdoiements printaniers. En effet, au-delà de cette heure fatidique, un charme mystérieux serait rompu, et il valait mieux, pour la vie des compagnons, qu'ils fussent loin lorsque cela arriverait...
Dame Mellorine se fit escorter, pour mener à bien cette délicate entreprise, de ser Cédric dit "le Tardif", et de ser Bibiko, dont le bouclier rutilant représentait un ours stylisé au regard lubrique tourné vers trois jeunes filles impubères. Leur guide, un écuyer aspirant à l'adoubement nommé John-le-Castor, secondait balourdement leurs pas.
C'est au beau milieu d'une journée sans nuage que la chevauchée s'acheva aux abords de la forteresse. John-le-Castor conduisit les chevaliers et leur maîtresse jusqu'à la poterne habilement dissimulée au sommet d'un large escalier. Celle-ci béait aux quatre vents, et il ne leur fallut guère plus d'efforts pour pénétrer la place forte, dont aucune issue ne semblait gardée.
L'équipée fut, à sa grande surprise, accueillie par un chambellan fort affable, qui ne perdit pas un instant et installa derechef chevaliers, dame et écuyer dans la salle de réception du château. Ser Cédric et ser Bibiko furent charmés par les dimensions plus qu'impressionnantes de la pièce, tandis que dame Mellorine tâta sans déplaisir du moelleux des nombreux fauteuils disposés pour les communs.
Ceux-si ne tardèrent guère à s'installer : manants, marmaille, damoiselles et damoiseaux, domestiques et, au fond de la salle, maîtres et gardes surveillants étroitement la représentation qui débutait.
Dans un premier temps, dame Mellorine, aidée de ses nobles acolytes, conta quelques grandes gestes illustrées d'images mouvantes au public. Puis celui-ci fut invité à reproduire les scènes épiques des meilleures histoires que propageait insidieusement l'Ordre Énigmatique du Golem de Fer.
La curiosité des plus jeunes se maria parfaitement au talent des plus âgés, et bientôt, les contes et légendes prirent vie tandis que le peuple incarnait leurs grands personnages comme leurs plus fielleux coquins. Comédiens et curieux, pauvres hères et riches seigneurs, personne ne tarissait d'acclamations pour ceux qui endossaient, l'espace d'un instant, les meilleurs rôles des récits mythiques. Les enfants en étaient les plus friands, et leur habilité à la lecture n'avait d'égale que leur enthousiasme.
Cependant, le jour déclinant, les compagnons durent se hâter de terminer leur représentation. Ils entonnèrent quelques grands hymnes tirés de ballades comme
Les Mystérieuses Cités d'Or,
Les mésaventures du Renard à Neuf Queues ou encore
Le garçon qui voulait devenir Seigneur des Pirates.
Toute la salle reprit en chœur les accords célèbres avec force joie ; les sourires s'épanouirent, les damoiselles rougirent en apercevant du coin de l'œil l'écu de ser Bibiko, Le Tardif laissa entendre sa voix mélodieuse, John-le-Castor prit un air satisfait et immortalisa la scène par quelques esquisses de son crû. Quant à dame Mellorine, elle se promit de narrer cette cocasse aventure dès son retour au quartier général de l'Ordre.
C'est juste avant que le soleil ne frôle le faîte de la plus lointaine colline que quatre individus sortirent discrètement par la porte dérobée qui les avait vu passer quelques heures auparavant. Leurs montures étaient reposées et abreuvées, et les attendaient au pied des escaliers. Un écuyer aida une dame à monter sa jument, deux chevaliers se hissèrent sur leurs palefrois sanguins. Des étriers piquèrent le flanc des chevaux qui, après une ruade, filèrent en direction de la Lune. L'Ordre, sous la protection du Golem de Fer, venait de partir comme il était arrivé.
Ni les chevaliers, ni le guide, ni même dame Mellorine ne vit que, derrière eux, la poterne venait de s'effacer du mur. Le chambellan, qui les observait depuis une meurtrière, disparut à son tour. Manants, marmaille, damoiselles et damoiseaux, domestiques et, dans la cour du château, maîtres et gardes, ne furent bientôt plus que fumée emportée par le vent. Les murailles elles-mêmes s'évanouirent dans le néant alors que le soleil venait tout juste d'engloutir ses derniers rougeoiements dans les profondeurs de l'Ouest sauvage.
De cet endroit mystérieux, au delà du Temps et de l'Espace, ne restent que des souvenirs : chants, rires, mercis et applaudissements résonnaient encore dans les esprits des chevaliers et de leur dame quand ils apprirent que leur mission les avaient conduits dans un fort maudit depuis 100 générations. Chaque année à la même date, le château et ses gens réapparaissaient pour la seule durée d'un festival, et disparaissaient à nouveau jusqu'à l'année suivante. La malédiction, disait la légende, serait levée lorsque le peuple aurait assisté à un spectacle d'une qualité telle qu'il en sortirait grandi au fond de son âme.
Le Tardif, à cette révélation, s'enfonça dans sa rêverie habituelle. Ser Bibiko frappa son bouclier de sa hache et déclara gaillardement : "Alors nous les reverrons dans une année !". John-le-Castor affina ses esquisses et en fit de véritables tableaux.
Quant à Mellorine, elle resta muette, mais certains éclats dans son regard en disaient long. Elle était fière de ce que ses acolytes et elle avaient réussi. Elle savait qu'ils avaient produit un spectacle de grande valeur, et que les fantômes du château bitterois l'avaient aimé autant qu'elle. Elle savait que c'était la dernière édition du mystérieux festival.
Après tout, n'avait-elle pas reçu, à son retour, une délicate missive du chambellan dont le seule mot, "Merci pour tout", suffisait à éteindre ses doutes ?
FIN
Les tableaux de John-le-Castor :